samedi 18 août 2007

1907 - Une solidarité éventrée

"Le vendredi 7 juin, Barzini câbla au London Daily Telegraph, au nom de tous les partants, que les règlements du convoi seraient observés jusqu'à Irkoutsk : "Pékin, vendredi. Aujourd'hui se sont réunis tous les pilotes du grand raid. Voici les dernières mises au point décidées jusqu'à Irkoutsk. Au cas où l'une des voitures tomberait en panne, les autres concurrents devront lui apporter aide et assistance dans la mesure du possible. Mais si les moyens en leur possession ne permettent pas de réparation complète, la voiture sera remorquée jusqu'à l'étape suivante, ou même, au choix du conducteur, abandonnée. Si l'un des pilotes tombe malade, il sera convoyé jusqu'à l'étape suivante, où un médecin sera appelé. Si sa maladie semble ne pas devoir se prolonger plus de trois jours, il pourra exiger qu'on l'attende."

L'histoire en décida autrement. Cette assistance mutuelle, promise entre tous les équipages, s'effrita, dès les premiers kilomètres dans les plaines de Mongolie, entre l'Itala, la plus rapide, et la tricar Contal. Cette dernière, très handicapée par sa conception à trois roues sur les terrains cahotiques traversés, connaît les pires difficultés pour rester dans le rythme de l'expédition. Et ce n'est pourtant pas le courage qui manquait à son pilote et à son mécanicien.

"Les Français, toujours retardés par Pons, virent enfin poindre le tricar, poussé par Pons et Foucault. La troisième se refusait à entraîner la machine. On eut la charité de ne rien reprocher aux malheureux équipiers, mais tout le monde pensa que la Contal n'arriverait jamais à Paris."

(...) "La Contal, naturellement, était en retard ; comme elle piquait du nez, Pons et Foucault, épuisés, avaient dû la pousser, sur toutes les parties mauvaises du terrain. Il devenait évident que les ennemis de la trois-roues n'étaient pas seulement les ornières, mais le sable, et il y avait des centaines de kilomètres de sable en perspective !..."

(...) "Le lendemain, mardi 18 juin (anniversaire de Waterloo), Pons et Foucault partirent en avant sur la Contal, à 3 heures du matin. Il peut sembler cruel qu'on ait forcé l'équipe la plus épuisée à prendre la tête de la colonne ; mais le tricar s'était arrêté tant de fois la veille qu'il retardait considérablement les autres véhicules. En lui accordant cette avance, l'expédition perdait moins de temps, et les équipes, au fur et à mesure qu'elles rattrapaient la Contal, étaient en mesure de l'aider si le besoin s'en faisait ressentir."

(...) "A cet instant, Pons se trouvait à des kilomètres en arrière, sur la piste où Borghèse l'avait laissé. La situation du trois-roues était des plus critiques. La voiture marchait parfaitement, mais elle n'avait plus d'essence. Il restait un demi-litre dans son réservoir. La matinée commençait, donc inutile de s'inquiéter. Le convoi s'arrêterait bientôt pour attendre la Contal, et sans doute demanderait-on à Borghèse de faire demi-tour pour l'aider. C'était une prescription de la loi d'assistance."

"Midi sonna. Pourquoi ne voyait-on personne ? Les autres avaient eu le temps de revenir ? Comme la nuit tombait, les deux hommes s'aperçurent qu'ils avaient terriblement soif.
Oui, dit Foucault, on se sent mourir.
Depuis le départ, ils vivaient au-dessus de leurs forces. "Quand on nous retrouvera, nous tiendrons peut-être encore le coup. Mais si nos cerveaux ont lâché avant ?... Il faut trouver de l'eau, Foucault, il le faut ! Laissons la machine pour trouver de l'eau. Et allons-y tant qu'il fait encore clair. Dépêchons-nous, pour être revenus quand ils arriveront...". Pons et Foucault partirent dans la plaine."

La solidarité entre les pilotes s'éventra lorsque Borghèse, à bord de sa rapide Itala, décida de conserver son allure, malgré la disparition dans le désert de Pons et de Foucault. Ceux-ci gisaient alors, près de leur machine, à plus de 300 kilomètres vers le sud.

"Mais pourquoi Borghèse ne voulait-il pas revenir sur ses pas ? Un jour ! Était-ce donc tellement important pour lui, qui avait attendu beaucoup plus longtemps à Kalgan ? Avait-il maintenant mesuré la valeur de ses compagnons ? La lenteur de la Contal l'exaspérait-elle et, au fond, était-il satisfait de se débarrasser de Pons ?"

(...) "Pons les maudissait tous – Borghèse, Cormier, du Taillis, Godard. Depuis trente-six heures, lui et Foucault gisaient affalés près de leur machine, après avoir fait 65 kilomètres pour chercher du secours. (...) Ils retrouvèrent la Contal et essayèrent de la tirer ; mais les ornières qui, tous les jours, leur avaient fait obstacle depuis le départ de Pékin les vainquirent encore une fois. Malgré leurs efforts, la machine y restait coincée. Les malheureux épuisèrent ce qui leur restait de forces, et enfin s'écroulèrent dans la poussière, près de la ridicule mécanique, qui n'avait été pour eux qu'une humiliation permanente. C'est ainsi que les nomades les trouvèrent, les emportèrent, à demi-morts, vers leurs huttes, et les soignèrent. (...) Pons et Foucault rentrèrent lentement à Pékin. Et la Contal resta à se rouiller dans la plaine. Le coeur débordant d'amertume, pleins de griefs à l'égard de leurs compagnons, les deux jeunes gens ne cessèrent jamais de clamer qu'on les avait trahis."

La Contal à la veille du désastre


Extrait du récit d'Allen Andrews
La course PÉKIN-PARIS 1907
Édition : PLON
Dépôt légal : 2ème trimestre 1966

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